If it's not for sale you can't buy it (Fugazi - Cassavetes)Jeudi 28 Mars 2024Webmestre: melanine@melanine.org
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    LE ROI DE LA LOOSE
    (1/2)

    Par LP -- 2001-06-25 04:09:19

    "Le journal d'un loser" est une des bandes dessinées française
    de ces dernières années qui nous a le plus marqué. Publiée
    en 1999 aux éditions 6pieds sous terre et parue par épisodes dans l'excellent
    Jade, le côté presse de cet éditeur à part, l'oeuvre de Lionel Tran
    et d'Ambre nous balade dans un Lyon très peu saucisson, sombre et décalé.
    Fiction autobiographique les tripes à l'air qui sonne presque trop vrai . Interview
    fleuve en trois parties.
    (par L.P.et Alfred)

    L.P.: Je trouve extrêmement courageux et difficile de tenir un
    journal intime et plus encore de le faire lire et de s'en servir comme matériel
    créatif.


    Lionel Tran : Eclaircissons tout de suite un malentendu : "Le journal
    d'un loser
    " ne se revendique pas foncièrement comme un travail autobiographique.
    Il s'agit en réalité d'un travail de reportage et d'une fiction. Le journal intime
    que nous avons pris comme base de travail nous a surtout servi à cerner le ton
    du récit. A l'arrivée il ne reste dans l'album que très peu d'éléments qui étaient
    dans le journal. Pour répondre à ta question, je pense que tenir un journal ou
    tout du moins écrire sur soi répond à un besoin, ... à une impossibilité, ou tout
    du moins à une difficulté à communiquer certains sentiments. C'est peut-être une
    prolongation du récit de ses misères quotidiennes que l'on faisait enfant à son
    ours en peluche. Si on se confie c'est parce que l'on a besoin d'être écouté et,
    en se racontant, peut-être que l'on parvient à s'écouter un peu soi-même. C'est
    aussi pour évacuer certaines pensées, pour se nettoyer l'esprit. A partir du moment
    ou l'on écrit cette confession c'est dans la perspective qu'elle soit lue, que
    ce soit par son entourage ou par un inconnu, en qui on peut imaginer l'interlocuteur
    idéal. Un journal intime est une volonté ouverte de laisser une trace lisible
    de ce que l'on a ressenti.



    Ambre : C'est aussi le laboratoire où l'auteur met son travail en perspective,
    se pose ouvertement des questions sur ce qu'il fait et sur ce qu'il vit, et sur
    l'adéquation entre les deux. C'est rassurant - l'écrivain se transforme en une
    sorte d'artisan, de jardinier.



    Lionel Tran: Dans le cas du journal intime qui nous a servi de point de
    départ pour l'album, j'avais dans l'idée de le faire lire pour avoir un avis dessus.
    Avec Ambre nous envisagions de réaliser un album en commun depuis longtemps. J'ai
    tenu un journal pendant plusieurs mois, et je lui ai confié en lui demandant de
    le lire afin de voir s'il y trouvait matière à faire un récit. Et puis, je suis
    parti en voyage. A mon retour il avait réalié un premier épisode et retenu une
    série de scènes qui l'intéressaient. C'est donc lui qui a fait la première sélection.



    Ambre : Mais je ne savais pas du tout dans quelle direction on allait.




    Lionel Tran : A la suite de ce premier épisode nous avons eut quelques
    discutions à propos du projet, dont nous avons poé les bases : il s'agissait de
    garder le ton biographique, l'engagement qu'il y avait dans le journal tout en
    l'appliquant a une description de ce que pouvait vivre les gens de notre génération.
    Il y a eut dès le départ cette volonté à la fois intimiste et générique. Le journal
    avait été écrit sans pudeur, mais cela était ma vie. Nous n'avions pas envie de
    l'illustrer. Cela était très clair.



    Alfred : Le journal intime : un beau mensonge quelque part ; il y a
    en effet à priori une contradiction entre les termes, ce qu'on écrit plus ou moins
    pour soi et que finalement tout le monde finira par lire, les amis qu'on y décrit
    plus ou moins gentiment, qui ont vu ces scènes différemment. Est-ce une réflexion
    globale sur l'écriture qui, heu, reste une vision bien personnelle de ce qui se
    passe ou même de ce qu'on invente, la littérature qui sous couvert de fiction
    est encore plus impudique que le journal intime ?



    Ambre : Les journaux intimes me fascinent pour plein de raisons : la densité,
    l'exhaustivité -l'auteur y raconte aussi bien une journée où il ne s'est rien
    passé qu'une journée pleine d'évènements. Tout est mis au même plan, sans artifices
    narratifs comme dans un roman (dans l'absolu, du moins). Ce sont pour moi des
    "super-romans " aux intrigues constituées par la vie des auteurs. Et puis la quotidienneté
    des choses me touche. Je dois être un homme d'habitudes. J'aime la répétition
    des choses, la ronde des saisons. Mon plus grand plaisir quand je dessine est
    souvent au moment d'entrer dans mon atelier et de voir chaque chose à sa place
    habituelle, et me dire que le lendemain j'aurais cette même sensation, et puis
    le surlendemain, avec seulement d'infimes changements qui font que la vie se déroule
    : un dessin en cours sur la table, la lumière qui se rapproche de l'automne...
    je retrouve un peu de ça dans les journaux intimes.



    Lionel Tran : Tenir un journal est un exercice d'écriture quotidien. J'avais
    le besoin de passer par la pour établir un lien entre des sensations réelles et
    des histoires imaginées. Je cherchais de la substance, de la chair pour mon écriture
    et il n'y avait qu'un endroit où la trouver... mais j'ai mis longtemps à l'accepter,
    j'ai beaucoup lutté contre, je crois que ça me faisait peur. La première fois
    où j'ai écrit quelque chose sur moi, peut être un an avant de commencer à tenir
    un journal, ça a été effroyable. J'avais les doigts crispés, j'ai réussi à écrire
    à peine une quinzaine de mots. En les écrivant je me disais : NON, NON. Et pendant
    un moment ces quelques lignes sont restées un objet de répulsion, mais malgré
    tout je revenais vers elles, sans comprendre ce qui s'était passé. C'est comme
    si une brèche s'était ouverte. Puis quelques mois plus tard j'ai commencé à tenir
    un journal et parallèlement, mais ça je n'en ai pris conscience que très récemment,
    je me suis mis à écrire des nouvelles inspirées de choses vécues. Ça a été une
    période assez dense, où jécrivais spontanément, sans réfléchir, sans essayer de
    raconter ou de faire du style, il s'agissait de restituer. Je pense que ça m'a
    aidé à donner une texture plus sensibleà mon écriture.



    Alfred: Que disent vos potes ? Est-ce qu'ils connaissent le Loser, le voient-ils
    différemment ?


    Lionel Tran : La plupart l'ont vu s'élaborer, ils étaient au courant. Ensuite
    je ne sais pas comment ils perçoivent l'album terminé.

    Ambre : Beaucoup ne s'y reconnaissent pas, car ce sont des portraits fragmentaires,
    "flous ". Une amie était soulagée qu'on ne lui fasse pas dire trop d'inepties
    au moment où elle apparaît. . Quelqu'un m'a dit très sérieusement qu'il était
    surpris de ne pas y figurer. J'étais sidéré ! D'autres ont été touchés par le livre
    en lui-même. (A suivre)

    Le roi de la loose (2/2)


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